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Sarlat-La Power : épisode 4

Heinze est le frère cadet du patron. Petit homme mince et sportif, il est toujours habillé dans de superbes costumes et se fait plaisir avec des montres de luxe. C’est un homme secret, travailleur, qui n’hésite pas à faire le trajet entre Sarlat et Kiel, leur fief, deux fois par semaine, à bord de son Audi. Il conduit la nuit et il est opérationnel le matin. Mangeant et dormant peu, Heinze travaille de 5 heures du matin à 20 heures, passant dans les ateliers, compulsant les livres de compte, animant des réunions techniques et déjeunant avec des élus locaux ou de gros clients au Lotus bleu, le seul restaurant étoilé de la ville.

Denitsa est franchement bluffée par sa capacité de travail. Comment tient-il ? Quelle énergie, quelle volonté, l’envie Denitsa. Elle se lève souvent épuisée, après des nuits agitées à calmer les angoisses des petits. Pour le moment, ils paient encore les traites de la maison, mais d’ici quatre ans, ce sera fini. Elle prendra une gouvernante pour l’aider au quotidien, en complément de la femme de ménage qui passe trois fois par semaine.

Denitsa soupire. Dans le tiroir de son bureau, elle prend un sucre à l’aspartame et l’avale sans le croquer, se délectant. La pastille est goût vanille cannelle, elle en raffole. L’énergie du Lion sera d’autant plus nécessaire que la séance s’annonce orageuse. M. Freunde lui a simplement dit qu’il allait la briefer demain. Sujet : l’évolution stratégique du groupe en France. « C’est un très beau projet, mais qui va demander beaucoup de pédagogie, lui a-t-il expliqué. Nous devons penser à l’avenir, dans un secteur très concurrentiel. Nos produits sont les meilleurs sur le marché, mais il faut justement dégager des marges de manœuvre pour faire reconnaître cette qualité. »

Denitsa a toujours voulu cela. Aider le monde à se porter mieux, en développant de nouveaux produits, en innovant, en explorant les voies permettant de les mettre à disposition d’un large public. Dans les dix ans Plastar aura mis sur le marché des appareils médicaux à même de changer la vie de millions d’individus. Ses dirigeants en seront normalement rétribués et tant pis pour les grincheux que l’échelle des salaires de 1 à 100 exaspère… On est en France.

« Nous sommes les chevaliers des temps modernes, lui a dit Igmar, le patriarche, PDG de la société. Le capitalisme a permis un développement inouï des forces de production et de la technologie. Jamais un tel niveau de confort n’a été atteint auparavant. Nous pouvons être fiers de faire partie de ce grand mouvement initié il y a cinq cents ans, à notre modeste échelle, avec le soutien de nos collaborateurs. »

Le lion, sur le logo de Plastar, c’est cela. Le lion est le roi de la jungle. Il essaye d’établir un semblant d’ordre dans une situation anarchique, dans un monde où les puissances se déchirent depuis des siècles, des millénaires. Le lion est pragmatique. Il se fatigue le moins possible, mais ses congénères agissent en fonction de son rythme, pour le servir. Une multinationale comme Plastar agit en moteur immobile du mouvement social. Par ses innovations, par le progrès que son action implique, elle est comme un aimant des bonnes volontés pour organiser le chaos et permettre les bonds en avant suivants.

Denitsa a de la chance. Son mari Pierre met sa carrière au second plan pour qu’elle puisse s’épanouir tout en ayant des enfants. Il s’occupe de leurs deux garçons au quotidien. C’est une crème. Elle a besoin de faire du sport, de courir, d’aller à la salle au moins deux fois par semaine, et lui adore jouer avec Thibault et Noé. On critique trop les hommes. Ils n’ont pas toujours le beau rôle, à notre époque, on les accuse de tous les maux, surtout s’ils ont le malheur d’être Blancs et diplômés. Mais sachons reconnaître ceux pour qui bonheur individuel signifie épanouissement familial.

Martine, son assistante, toque à sa porte. Très belle femme, toujours parfaitement habillée, elle est son appui le plus solide ici. Il a fallu que Denitsa gagne sa place quand elle est arrivée. Ce n’était pas facile, elle n’était armée que des savoirs théoriques acquis à l’école de commerce et de quelques mois de job étudiant comme serveuse au club-house d’un golf à Vannes. Martine a tout de suite été parfaitement serviable. Très terre-à-terre, et en même temps très corporate, elle connaît tout à Sarlat et presque tout dans cette entreprise qu’elle a rejointe il y a une trentaine d’années. Elle aime énormément les gens, elle connaît personnellement des centaines, des milliers ?, de ses salariés. Décrypter les relations, le caractère, les affinités et les conflits potentiels n’a plus de secrets pour elle.

Tag(s) : #Roman, #Feuilleton
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