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Aux sources de la fondation de la Première internationale (1864)

"Les prolétaires n'ont pas de patrie", ou encore "Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !", écrivirent Marx et Engels dans le célèbre Manifeste du parti communiste en 1847.

Quelques années plus tard, la Première Internationale, appelée Association internationale des Travailleurs (AIT), sera créée. Mais quels furent les buts de ses fondateurs : défendre les principes généreux de solidarité internationale ?

Extrait de Marx et Engels, de David Razianov, p.163.

"En avril 1863, ils* convoquent à Londres un immense meeting présidé par le professeur Beesly et où Cremer prononce un discours pour défendre les Polonais. L'assemblée adopte une résolution dans laquelle elle décide que les ouvriers français et anglais exerceront sur leurs gouvernements respectifs une pression pour les faire intervenir en faveur de la Pologne. On décide également d'organiser un meeting international [...] à Londres [...], le 22 juillet 1863 [...]. Mais, le lendemain, eut lieu une réunion que ne mentionnent pas ordinairement les historiens de l'Internationale. Elle fut organisée sur l'initiative du conseil londonien des trade-unions, mais cette fois sans la participation des éléments bourgeois. Odger y démontra la nécessité d'une liaison plus étroite entre les ouvriers anglais et ceux du continent [...]." (mis en gras par moi-même)

Tiens-donc ? Et pourquoi cela ? Par idéal internationaliste et humanisme fraternel ?

"La question était posée pratiquement, poursuit le militant bolchévik dans son ouvrage tiré de conférences données en 1922 devant des ouvriers. Je vous ai déjà dit que les ouvriers anglais étaient fortement concurrencés par les ouvriers français, belges et, en particulier, par les ouvriers allemands. A cette époque, la boulangerie, qui était déjà aux mains des grands entrepreneurs, était desservie principalement par des ouvriers allemands. De nombreux Français travaillaient dans le bâtiment, le meuble et l'industrie d'art. C'est pourquoi les trade-unionistes anglais recherchaient chaque occasion d'influer sur les ouvriers étrangers arrivés en Angleterre. Or c'était au moyen d'une organisation unissant les ouvriers des différentes nationalités qu'il était le plus facile d'y parvenir."

Ainsi, à en croire David Razianov, les ouvriers anglais sont des libéraux qui ne s'offusquent pas, portés par des idées généreux, de voir des étrangers travailler dans leur pays. Soit.

Mais attendez. Le conférencier natif d'Odessa, né quelques semaines avant Lénine, poursuit et donne l'extrait d'un courrier adressé par les travailleurs anglais à leurs correspondants français. "Elle avait été écrite principalement par Odger [...]."

"La fraternité des peuples est extrêmement nécessaire dans l'intérêt des ouvriers. Car chaque fois que nous essayons d'améliorer notre situation au moyen de la réduction de la journée de travail ou de l'augmentation des salaires, les capitalistes nous menacent d'embaucher des ouvriers français, belges, allemands, qui accompliront notre travail pour un prix moins élevé."

Oh l'infâme ! Il met obstacle à l'épanouissement des ouvriers étrangers venant dans son pays, par égoïsme de classe ? Mais lisons avant :

"Par malheur, cette menace est souvent mise à exécution. La faute, certes, n'en est pas aux camarades du continent, mais exclusivement à l'absence de liaison régulière entre les salariés des différents pays."

On voit qu'Odger est très poli, si ce n'est imprécis, car, pour se faire embaucher, d'une manière ou d'une autre, l'ouvrier, anglais ou étranger, doit être candidat, et d'autant plus dans une société où il y a du chômage et donc de la concurrence pour l'accès au salariat. Si la faute n'est donc pas principalement celle du travailleur, mais plutôt en revient au bénéficiaire du système économique, à savoir le patronat, le travailleur acceptant ce marché, certes avec de bonnes raisons, car il y va en partie de sa survie, a aussi une part de responsabilité.

D'ailleurs on a lu qu'Odger met la faute sur "l'absence de liaison" entre ouvriers, et non sur la vénalité des capitalistes. Il poursuit :

"Il est à espérer néanmoins que cette situation prendra bientôt fin, car nos efforts pour arriver à mettre les ouvriers mal payés au même niveau que ceux qui reçoivent des salaires élevés empêcheront bientôt les entrepreneurs de se servir de quelques uns d'entre nous contre les autres pour abaisser notre niveau de vie, conformément à leur esprit mercantile."

S'il avait su, le pauvre ! Cent-soixante-ans après, les choses ont empiré. La conscience et la solidarité de classe sont absents. Des ouvriers de pays moins bien placés migrent, que ce soit loin ou près de chez eux, à la recherche d'un meilleur emploi, favorisant ainsi, que l'on juge cela moral ou non, la situation du grand patronat (celui qui nous intéresse, car même si des petits patrons exploitent aussi des clandestins, ils sont déjà dépourvus de pouvoir politique réel) face au monde du travail.

Razianov précise que la réponse à la lettre "se fit longtemps attendre"...

Ainsi, un an après, la Première Internationale fut créée à Londres, fief des trade-unions britanniques, plus connues pour leur défense des intérêts matériels des corporations ouvrières les plus établies que pour leur dévouement communiste extrémiste. C'est ce courant du mouvement ouvrier qui a donné l'élan pour fonder l'AIT sur une question concrète : la lutte contre les briseurs de grève étrangers.

On ne peut effacer ce fait. Les grands principes transnationaux sur l'apatridie congénitale de la classe ouvrière sont une chose. Chacun est libre de les croire. Mais le constat objectif est tout autre : le temps avance bien moins vite que Marx et Engels ou Lénine l'envisageait : la conscience et la solidarité de classe ne progresse pas parallèlement au progrès scientifique et technique. La déchéance spirituelle est patente et si ses conséquences sont évidemment plus graves dans les classes supérieures et exploiteuses, qui ont un grand pouvoir de nuisance par leur richesse et leur propriété, elles se font aussi sentir dans le peuple.

Ainsi sur le plan matériel, un pas énorme en avant sera fait pour les prolétaires quand ils refuseront de travailler en-dessous du salaire prévu par la loi du pays où ils sont. Ce n'est pas un jugement, mais un fait : le rapport de force sera alors bien meilleur et le patronat et le gouvernement seront si ce n'est coincés, du moins bien embêtés.

 

* Cremer et Odger, pour les ouvriers, le professeur Beesly pour les intellectuels radicaux, qui dirigent le mouvement en faveur des Polonais qui se sont insurgés contre le tsar.

 

Sur la page Wikipedia d'Odger, qui fut président de l'AIT, on peut lire : "Le 28 septembre 1864, une réunion eut lieu à l'hôtel St. Martin's de Londres pour lancer une association internationale réunissant des dirigeants syndicaux de Grande-Bretagne et du continent européen, en vue d'empêcher les employeurs d'utiliser involontairement des travailleurs étrangers comme moyen d'imposer des lock-out ou de briser des grèves."

Un principe qui demeure à la base du mouvement syndical, jusqu'à nos jours.

 

Tag(s) : #Communisme, #Politique, #Histoire, #Capitalisme, #immigration, #économie, #Syndicalisme
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