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Bon dimanche à tous,

 

nous ne pouvons que louer le travail d’Édouard Dolléans, qui nous a laissé sa magnifique somme Histoire du Mouvement ouvrier.

Ainsi en apprenons-nous davantage par cet intermédiaire, sur un des aspects à l'origine du mouvement ouvrier, au XIXe siècle : le problème de la concurrence entre ouvriers, dans un contexte de chômage, avec la présence permanente ou presque d'une armée industrielle de réserve.

Angleterre des années 30, vers le Chartisme.

"La nouvelle Loi des Pauvres de 1834 consacre la liberté de la main-d’oeuvre, liberté nécessaire à une grande industrie qui a besoin d'un personnel nombreux, capable de s'accroître à volonté et de se porter là où s'installent les fabriques.

Mais cette loi n'est parvenue à ses fins qu'en rompant les liens qui attachent à leur paroisse les travailleurs pauvres et en portant atteinte à des habitudes traditionnelles d'assistance, chères aux classes laborieuses, qui trouvaient dans ces pratiques une assurance contre les vicissitudes économiques.

Cette incertitude de la vie ouvrière est accrue par le rythme même de la grande production. La grande industrie, qui produit par masses et par à-coups, amène les crises. L'instabilité du salaire et l'intermittence du travail détruisent périodiquement l'équilibre des budgets de la population ouvrière groupée autour des filatures et des ateliers mécaniques. Ce troisième facteur de misère, l'insécurité, se trouve exagéré par le concours des deux autres. La crise des anciens petits métiers pousse ces artisans dépossédés à offrir leurs bras à la grande industrie.

L'effet immédiat de la Loi des Pauvres est de provoquer vers les villes industrielles l'exode des travailleurs ruraux qui ne se résignent pas à entrer au workhouse. La concentration ouvrière vient d'un triple affluent. La concurrence entre les ouvriers de la grande industrie, les émigrés des anciens métiers et les paysans déracinés provoque des chômages plus étendus et un abaissement des salaires.

Mais, si la lutte pour le pain quotidien oppose les travailleurs individuellement, leur contact suscite des sentiments communs à tous. Cette « âme collective » va s'affirmer."

Ce grand rêve d'une unité est tel le mythe de Sisyphe sans cesse à recommencer, tant le réel et la puissance de la classe capitaliste sont des freins à cette unité.

"La réaction provoquée contre la nouvelle loi n'est pas seulement sentimentale. La loi de 1834 facilite l'exode de la population des comtés ruraux vers les villes de fabriques, et, par suite, la concurrence que font au prolétariat industriel ces nouveaux venus, entraînant par leur présence des salaires plus bas et plus instables."

"La nouvelle Loi des Pauvres blesse profondément les masses ouvrières. La concurrence dépressive des émigrés ruraux est considérée comme l'effet de la seule loi de 1834 ; l'organisation des workhouses froisse les sentiments populaires : les indigents valides y sont astreints à un régime de prison, séparés de leur femme et de leurs enfants."

Et plus loin...

"Le Factory System tend à faire descendre toujours davantage le taux moyen des salaires. La nouvelle Loi des Pauvres fournit aux manufacturiers un contingent nouveau de main d’oeuvre qui leur permet de diminuer la rémunération du travail. Le 3 août 1844, la Northern Star se plaindra, lors d'une grève de mineurs dans le Northumberland et le Durham, que le Poor Law assistant commissioner envoie du Pays de Galles 204 travailleurs, hommes et femmes, et en propose 1 000 autres pour aider les patrons à soumettre les mineurs : « Et tel est, ajoute la Star, le mécanisme de l'odieuse Loi des Pauvres, inventée pour intervenir en faveur du capital et l'aider à asservir le travail. »

Le Factory System et le Parlement apparaissent aux classes laborieuses comme poursuivant un même et secret dessein. L'imagination populaire grandit ce dessein « diabolique » en un plan systématiquement organisé pour réduire les travailleurs à la famine ; car les qualificatifs de « loi d'affameurs » et de « système de famine » appliqués par la Northern Star à la loi infernale (le 6 janvier 1838) expriment ce que pensent les masses.

Les tisserands à la main et les petits artisans de métier paraissent former une classe absolument distincte, ayant des intérêts différents et même opposés à ceux des ouvriers de fabriques ; la destinée des uns est attachée au triomphe du Factory System qui a engendré la décadence des autres."

On lit donc que c'est une loi "diabolique" que celle qui envoie des travailleurs de contrées moins riches vers celles plus développées afin de détruire le rapport de force entre les classes.

"Dès 1838 et 1839, la Northern Star reproduit ces formules des écrivains et orateurs chartistes. Le 23 juin 1838, un article intitulé The Factory System contient le morceau suivant : « Que les pauvres tisserands qui travaillent à la main aient toujours présent à l'esprit que l'emploi sans restriction des machines les a complètement jetés hors du marché. Que ceux qui sont assez heureux pour travailler encore se rappellent que les tisserands en question ont toujours servi de corps de réserve pour permettre aux patrons de les employer au plus bas prix et pour mettre à leur merci ceux qui travaillent. Nous avertissons les patrons que, s'ils réussissent à supprimer les associations de travailleurs, nous y répondrons par une grève générale qui les contraindra à des conditions que le peuple n'aurait jamais exigées si l'on avait agi loyalement avec lui. »"

Louable ambition que cette grève générale, mais hélas, les divisions dans le mouvement ouvrier, qui semblent incompréhensibles tant les intérêts "généraux", mais pas "particuliers", sont communs, auront raison de ces nobles espoirs. Et on attend toujours cette union des prolétaires appelée de leurs vœux par Marx et Engels. Peut-être parce qu'il faut avoir l'amour chrétien chevillé au corps pour s'unir avec des travailleurs venus d'ailleurs et qui ont contribué à ruiner votre situation en acceptant, de gré ou de force, des salaires de misère... Le sacrifice d'amour est certes promu par Dieu, mais l'on sait que notre époque n'est guère tournée vers Lui, notamment en Occident, notamment en France.

Tous les beaux efforts des militants ouvriers depuis plus de 170 ans se heurtent à ces problèmes de nationalité. Dire ensuite que "les travailleurs n'ont pas de patrie", comme le disent Marx et Engels, est au mieux un cri d'espoir, mais nullement un facteur objectif pouvant tenir lieu de politique. De plus, la conception de la prise du pouvoir des marxistes, qui doit avoir lieu dans le cadre national comme base à l'érection d'une coopération inter-nationale, implique de privilégier la base ouvrière locale, forcément la plus nombreuse, la plus massive, la plus intégrée au pays, pour établir sa stratégie. Cela semble relever de la simple logique, et les grandes révolutions ouvrières ont prouvé que c'est ce qu'il fallait faire (Commune, 1917, Allemagne 1923, etc.), mais les dogmes internationalistes n'en ont que faire.

 

Richard Pilling a été appelé le « père du mouvement gréviste ». Ce vétéran de l'humaine misère représente l'ouvrier chartiste moyen. Il raconte avec une simplicité émouvante que, provoquées par l'extension du chômage et les réductions de salaires depuis 1837, les grèves ont été essentiellement une explosion de la misère et de la révolte ouvrières. "Je tiens à déclarer au jury et aux personnes assemblées ici que, sans cette dernière lutte, des milliers d'hommes seraient morts de faim, car le cri des manufacturiers était : « Nous réduirons leurs salaires ; les travailleurs se font concurrence et nous pouvons faire ce qu'il nous plaît et agir selon notre bon plaisir. » Voilà de quels sentiments ils étaient animés."

Voici pourquoi les ouvriers, dans leurs efforts pour se constituer en classe pour soi, via des syndicats et des partis forts, ne doivent pas tomber dans le panneau.

 

 

 

 

Revenons à la rencontre entre ouvriers préalable à la création de la Première Internationale, au début des années 1960, dont nous avons parlé dans un autre article.

"Le voyage de Londres avait établi entre ouvriers français et Trade Unionistes des liens plus étroits. Pendant leur séjour, le 5 août 1862, 70 des délégués français avaient été l'objet d'une réception solennelle de la part de 250 de leurs camarades anglais. Et, dès l'année suivante, les ouvriers de Londres, ayant organisé un meeting en faveur de la Pologne, invitent les ouvriers parisiens : aux six délégués présents, le 22 juillet 1863, George Odger demande que les ouvriers organisent des congrès internationaux pour s'entendre sur les moyens de lutter contre le capitalisme et d'empêcher l'introduction, d'un pays à l'autre, d'une main-d’oeuvre non organisée faisant baisser les salaires."

Il n'est pas question de dire que cette volonté de défense de la main d’œuvre anglaise a été la seule cause de la création de l'AIT. Le congrès a mis aux prises les idéaux internationalistes de Marx avec les prétentions des Proudhoniens ou des militants nationalistes italiens. Ils ont trouvé un terrain d'entente. Mais sur le plan matériel, les Anglais sont ceux qui demandaient que cette AIT apportât des aides concrètes contre les briseurs de grève étrangers.

On constate qu'à l'époque, la conscience de classe était telle que seuls les étrangers, ne parlant pas la langue du pays, étaient réputés menaçants en cas de grève. Hélas aujourd'hui, alors que le salariat s'est massifié, la conscience de classe s'est dissoute dans la société du spectacle et dans la démocratie, et plus personne ou presque ne se préoccupe de savoir si ses actes vont avoir des conséquences sur d'autres travailleurs.

 

La fondation de la Première Internationale par Dolléans dans Histoire du Mouvement ouvrier.

"L'Internationale tient son premier Congrès à Genève du 3 au 8 septembre 1866. Le Comité central de Londres a délégué Odger, Dupont, Cremer et Eccarius ; mais ni Karl Marx ni les grands chefs du trade-unionisme ne sont présents, sauf George Odger qui est et restera président du Conseil général. Le secrétaire général est le tailleur Eccarius qui avait fondé, avec Heinrich Bauer et Moll, le Groupe communiste d'éducation ouvrière. A côté de Tolain, de Murat, de Perrachon, de Chémalé et de Fribourg, sont venus de Paris, Varlin, Benoît Malon et Bourdon, qui, à partir du premier procès
de la première Commission, prendront la direction de l'Internationale parisienne ; de Rouen, Émile Aubry et de Lyon, Albert Richard.
Les questions en discussion sont : l'organisation des efforts communs, au moyen de l'Internationale, dans les luttes entre le capital et le travail ; la réduction des heures de travail, le travail des femmes et des enfants ; les sociétés ouvrières et leur avenir ; le travail coopératif ; les impôts ; le crédit international ; la nécessité d'anéantir le despotisme russe en Europe, par l'application du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes et la reconstitution de la Pologne ; les armées permanentes et leurs rapports avec la production ; l'influence des idées religieuses ; l'établissement des sociétés de secours mutuels. Deux rapports importants servaient de base solide aux discussions du Congrès, l'un était le mémoire des délégués français, l'autre, le rapport du Conseil général."

Tag(s) : #Histoire, #Syndicalisme, #Communisme, #Mouvement ouvrier
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