Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Tableau géographique et statistique de l'Ile Bourbon, dressé par Monin ; gravé par Rembox et Laguillermie. 1872. IHOI

Tableau géographique et statistique de l'Ile Bourbon, dressé par Monin ; gravé par Rembox et Laguillermie. 1872. IHOI

Sixième extrait de mon livre Où va La Réunion ?

 

Cette inflation sera-t-elle provisoire ? Les prévisions ne sont pas très optimistes. Cela risque de s’installer. Cette crise inflationniste pourrait-elle représenter une opportunité pour la relocalisation ? Pas si évident.

 

Car, malgré l’augmentation du fret, le prix d’achat dans certains pays producteurs tiers reste très largement inférieur à celui pratiqué sur le territoire. L’augmentation du prix du fret est une vraie tuile pour les paysans. Certains exploitants vont devoir licencier un salarié.

 

Selon Oasis Réunion, un collectif qui œuvre pour l’autonomie alimentaire durable sur l’île, La Réunion ne produit que 20 % de son alimentation. La dépendance au fret est forte. Si une rupture d’approvisionnement survient, comme cela a pu être le cas lors du premier confinement, nous serons confrontés à notre vulnérabilité en termes de production locale. Or des scénarios plausibles annoncent une raréfaction des ressources alimentaires et énergétiques dans les années à venir. Cela impactera les transports de marchandises. Et cela ne tient pas compte des pandémies ou des catastrophes naturelles.

 

Comment, alors favoriser cette relocalisation agroalimentaire ? Faut-il améliorer la « performance » de l’agriculture péi en promouvant le recours à une forme d’ingéniosité locale notamment en matière de mécanisation ? Le facteur déterminant sont les prix d’achat et de vente. Cela implique le recours plus important à la commande publique de la part des collectivités pour soutenir ces filières.

 

L’État doit tenir son rôle dans ce domaine. Le consommateur souhaite manger sain et à un prix accessible. L’avantage des produits importés, c’est leur prix. Alors il y a deux solutions : soit augmenter le pouvoir d’achat des Réunionnais, pour qu’ils puissent payer plus cher, soit baisser les tarifs des produits locaux.

 

Autre question centrale : le recrutement de nouveaux agriculteurs. Cela bute sur un obstacle de taille : le coût de la main-d’oeuvre. Le dernier recensement agricole fait état d’une désertion de la profession agricole (- 18 % du nombre d’exploitations en 10 ans) ; les exploitants locaux mettent en avant la difficulté de recrutement.

 

Oasis Réunion prône la mise en place d’un Revenu pour service environnemental les concernant. C’est une rémunération complémentaire qui serait versée par l’État en amont. Outre permettre aux agriculteurs d’avoir un revenu décent, cela serait un gage pour les consommateurs que les prix de vente ne seraient pas trop élevés. Le recours plus généralisé à la vente directe permettrait aussi d’élever les revenus.

 

Selon le parti communiste réunionnais, en 2020, le déficit de la balance commerciale était énorme, avec 5,3 milliards d’euros d’importation, contre 293 millions d’euros d’exportation. 62 % des importations venaient de France, 14 % viennent de l’Union européenne. Les échanges avec les pays voisins (Madagascar, l’île Maurice, Mayotte, les Comores) s’élèvent à seulement 1 %.

 

Alors que beaucoup dénoncent déjà la vie chère depuis des années, que va-t-il se passer demain ? Explosion des coûts du fret, tension sur les marchés des céréales et autres matières premières… Avec la présente guerre en Ukraine, la menace de famine en Afrique se fait grandissante.

 

La Réunion, département français, devrait être à l’abri d’une famine directe, mais ne pourra échapper à une hausse des prix, déjà en cours. Avec la croissance démographique, si le système alimentaire mondial reste le même, il semble difficile d’imaginer que les tensions diminuent. 

 

Et puis il y a le problème de l’eau. La Réunion échappe à ce jour aux énormes soucis que connaissent Mayotte ou les Antilles, où les populations sont souvent privées d’eau, et ce depuis des décennies. Mais il y a une menace aussi sur ce plan dans les années qui viennent, avec la vétusté du réseau et l’absence d’investissements. Le prix de l’eau sera aussi un facteur pouvant empêcher l’accès à certaines populations démunies financièrement.

 

Face à ces difficultés de pouvoir d’achat alimentaire d’une large partie de la population, et suite aux mouvements sociaux contre la vie chère d’il y a une dizaine d’années, il a été mis en place un Observatoire des prix, des marges et des revenus (OMPR) à La Réunion. Il en a notamment résulté un bouclier qualité-prix (BQP). Jacques Billant, préfet de La Réunion, a signé ce mercredi 16 mars 2022 l’accord 2022 de modération des produits du BQP de La Réunion avec les représentants des filières de la production locale, de la grande distribution et des importateurs.

 

« Malgré les tensions sur les approvisionnements et la production, les négociations entre les services de l’État et la fédération régionale des 24 Où va La Réunion ? coopératives agricoles (FRCA), l’association réunionnaise interprofessionnelle de la pêche et de l’aquaculture (ARIPA), l’association pour le développement industriel de la réunion (ADIR), la fédération du commerce et de la distribution (FCD) et le syndicat de l’importation et du commerce de La Réunion (SICR) ont permis de préserver l’effort engagé en 2021 avec une liste maintenue à 153 produits et un prix stabilisé à 348 euros pour le BQP 2022 contre 349 euros en 2021 », explique l’OPMR.

 

« Cet effort de prix montre que le bouclier qualité-prix n’a jamais aussi bien porté son nom dans un contexte où l’inflation a augmenté en moyenne de 3,3 % à La Réunion en 2021 selon l’Insee et dans un moment de forte incertitude sur l’évolution des prix dans les prochains mois. En dépit de la période délicate que nous traversons actuellement avec la crise épidémique et la guerre en Ukraine et leurs conséquences sur la désorganisation du fret et l’augmentation de certaines matières premières, l’État et ses partenaires sont parvenus à proposer une nouvelle fois aux Réunionnaises et aux Réunionnais des produits variés, de qualité et répondant aux habitudes de consommation locales avec des prix plafonnés garantis jusqu’à février 2023 », se réjouit l’OPMR.

 

« Élaborée sur la base d’un sondage effectué auprès des Réunionnais et en étroite coopération avec l’OPMR, cette liste élargie l’an dernier à 153 produits est prorogée, avec quelques ajustements pour tenir compte des difficultés d’approvisionnement de certains produits. Les produits sanitaires, ajoutés l’an dernier afin de permettre de se protéger contre les épidémies de dengue et de coronavirus qui frappent notre territoire, sont également maintenus cette année. »

 

Néanmoins, tout n’est pas rose loin de là. Sans parler du niveau réel de l'inflation pour les ménages, sans parler des dizaines de milliers d’habitants qui n’ont même pas les moyens de se payer les produits du BQP, l’OPMR relève d’autres difficultés, comme me le confiait un de ses dirigeants, à la fin décembre 2021.

 

Pour réaliser son travail efficacement, l’OPMR désire accéder à plus d’éléments économiques et financiers des acteurs impliqués : quels chiffres d’affaires les commerces ont-ils réalisés ? Sont-ils en hausse ou en baisse ? Leurs profits ont-ils baissé ou augmenté, que ce soit globalement ou pour chaque catégorie de produits ? « Est-ce que le BQP rapporte aux acteurs, un peu ou non ? Est-ce qu’il a une incidence sur la production locale », se demande Jocelyn Cavillot, vice-président de l’OPMR.

 

Concernant les contrôles des services de l’État (pôle Concurrence de la DEETS), l’OPMR précise que 94 ont été réalisés en 2021. Presque tous les commerces concernés ont été visités. Le nombre de ruptures de stocks sur les produits a fluctué. En cause notamment : les difficultés d’approvisionnement. « Au début des contrôles, les ruptures étaient en moyenne proches de 20 %, avec des pics à 25 %, alors qu’en seconde partie d’année, elles oscillaient entre 14 et 17 %, souligne l’OPMR. Ces taux restent plus élevés que les années précédentes. »

 

Or, quand un consommateur cherche un produit inclus dans la liste BQP, s’il ne le trouve pas, cela signifie que le prix plafond mentionné sur l’affiche BQP à l’entrée du commerce n’a plus de signification réelle. En effet, « dans le cadre des ruptures ponctuelles, les magasins n’ont pas procédé à des substitutions », déplore l’OPMR. En juin, 11 produits étaient en rupture lors de plus de la moitié des contrôles. En décembre, seulement 5 étaient dans cette situation. Certaines de ces absences étaient dues au succès des produits BQP.

 

L’observatoire aimerait que soit adopté un taux de rupture maximal de 10 à 15 %. Au-delà, il invite la DEETS à « mettre en demeure le magasin concerné de remédier rapidement à la difficulté et à lui appliquer une sanction dans le cas contraire ». Il faut aussi « doter le pôle C des moyens nécessaires pour assurer l’ensemble des contrôles liés à la mise en œuvre du dispositif du BQP ». Pas évident, alors que les différents services publics sont soumis à un régime depuis des décennies, avec suppressions de postes et précarité accrue, sous l’égide des gouvernements d’obédience libérale successifs.

 

Enfin, l’OPMR demande « la mise en place d’un groupe de travail pour réfléchir à un mécanisme permettant de diminuer les taxations (Octroi de mer et TVA) pratiquées sur chacun des produits du BQP concernés. Il s’agirait évidemment d’obliger les acteurs de la grande distribution à répercuter intégralement la baisse sur le prix de vente final pratiqué en magasin. »

 

Que faire ? Le contrôle des prix, des marges et des comptes des entreprises semble plus que jamais nécessaire. Mais les grands groupes invoquent le secret des affaires et commercial, ainsi que le respect de la propriété privée, qui est inscrit dans la déclaration des Droits de l’Homme. Il faut donc s’en remettre à leur bonne volonté, à moins d’une évolution politique et sociale d’ampleur. Demandée par une bonne partie d’un peuple qui voit son pouvoir d’achat fondre, la transparence ne semble ceci dit pas pour demain.

 

Fin mars 2022, Bertrand Hubly, le nouveau président de l’OPMR, a pris ses fonctions dans de drôles de conditions : à peine élu, il a levé la séance, à la chambre de commerce et d’industrie (CCI). Au nom de la transparence, des citoyens associés à l’Observatoire tenaient à filmer la séance et à la retransmettre. La demande a été faite à la préfecture, qui a refusé. Les citoyens ont filmé quand même. Le secrétaire général aux affaires régionales a quitté la salle, ainsi que d’autres agents de l’État. Et le nouveau président de lever la séance.

 

Avant la séance, une vingtaine de citoyens se sont rassemblés devant la CCI. Repoussés par la police du jardin où il s’étaient installés, ils se sont ensuite repliés sur le trottoir. Certains regrettent qu’au bout de trois ans, il n’y ait guère eu d’avancées. La guerre contre la vie chère a-t-elle vraiment été menée ? Egalement, l’État devrait avoir une volonté politique pour faire de la question de l’alimentation et de l’eau une priorité, ce qui impliquerait de diminuer le pouvoir et la richesse des grands groupes de l’agroalimentaire, pour lesquels l’activité ne se conçoit pas sans profits élevés. Ceci est vrai en France et en général dans tous les pays occidentaux.

 

Effectivement les profits sont, dans la théorie économique classique, un incontournable, car ils permettent les investissements futurs. Mais cela s’inscrit dans la conception d’une économie mondiale vue comme concurrentielle, le terrain d’un conflit entre puissances politiques et économiques hostiles. Ce qui ne manque jamais de provoquer régulièrement des crises, des ruptures d’approvisionnement, des effondrements et des pénuries.

 

Comme dirait Schumpeter, icône des économistes néoclassiques, ces crises sont parfois créatrices... mais surtout toujours destructrices. Pourquoi ne pourrait-il pas en être autrement ? Un développement harmonieux de la planète, avec une coopération des différentes classes sociales et régions du monde, et non une exploitation des unes sur les autres, comme on la connaît depuis des siècles, voire des millénaires ?

 

A suivre...

Tag(s) : #OVR, #Réunion, #économie, #Agriculture
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :