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Hypothèse sur la signification profonde des mesures de facilitation des licenciements pour les employeurs

Ce soir, j'ai envie de poser des questions. Beaucoup de questions... Evidemment, la réponse à toutes ces questions présuppose l'accord des lecteurs et de l'auteur sur un certain nombre de définitions, pour éviter tout malentendu et toute incompréhension. Pour les définitions que je donne des différents mots et concepts utilisés, ici, merci de me contacter.

 

Et si - osons faire un pas dans une direction plutôt mal vue chez bien des intellectuels du pays - la théorie développée par Karl Marx en son temps avait encore à nous apprendre ? Et si l'existence de classes sociales aux intérêts opposés, et la lutte entre elles, était toujours, 100 ans après la révolution d'Octobre (et de concert avec l'évolution du niveau technique de la production des biens et services), un critère particulièrement pertinent d'appréciation et de compréhension des événements sociaux, politiques et économiques ?

Et si les dernières mesures facilitant, pour les employeurs, les licenciements des salariés pour diverses raisons étaient non pas à considérer en premier lieu comme des mesures d'efficacité économique, mais comme une manière pour la classe détentrice des moyens de production, dominante économiquement et politiquement, de réaffirmer son règne dans une période où sa capacité à gérer le pays dans l'intérêt de tous peut être remise en cause, si ce n'est pratiquement, du moins intellectuellement, par bien des habitants ? Certains spécialistes des questions sociales n'ont-ils pas souligné qu'avec presque un million de licenciements ou de ruptures conventionnelles en France chaque année (lire ici ou ), la France ne peut être considérée comme une dictature anti-patronale, malgré tous les arguments déployés par bien des représentants des décideurs économiques ? Peut-on dire, sans s'attirer sur le champ l'accusation de parti-pris, qu'en France, il est relativement aisé, pour toute entreprise, de licencier tout ou partie de son personnel, pour peu que les dossiers soient présentés correctement aux Administrations afférentes ?

Peut-on, ceci dit, prétendre que les diverses mesures présentes dans la loi Travail ne vont donc en réalité pas changer grand-chose en mieux, pour les directions d'entreprises, que ce que prévoyait avant le droit ? Cette dernière question provoquera-t-elle une réponse négative des syndicats ouvriers opposés à cette loi ? Auront-ils beau jeu de faire remarquer que le pire n'est jamais sûr et que les salariés auront désormais encore moins de moyens de se défendre et d'ester aux tribunaux de Prud'Hommes qu'avant l'adoption de ladite loi El Khomri par 49.3 ?

Cette loi renforce-t-elle donc les pouvoirs patronaux au détriment des droits salariaux ? Ces droits du Travail n'ont-ils pas été peu à peu élaborés - sous l'effet de divers phénomènes, dont, nous le supposons, la lutte des salariés - pour venir en aide et protéger des apporteurs de force de travail sans défense, au départ, face à un employeur pouvant licencier et payer comme il le voulait, considérant la force de travail nécessaire à la production de marchandises comme une marchandise comme une autre, nécessaire au processus de production, telle la corde, le fer ou l'électricité ? Le fameux lien de subordination intrinsèque au rapport salarié n'est-il pas à l'origine de l'érection de ce droit du Travail ?

N'y a-t-il donc plus de lien de subordination entre le détenteur des moyens de production et le détenteur de la force de travail ? N'y a-t-il donc plus besoin de droit du Travail ? Faut-il lui substituer le droit antérieur, celui dit "des droits de l'homme", qui suppose des "individus égaux" et "libres" ? N'y a-t-il pas inégalité de fait entre celui qui a eu la chance de naître dans une famille qui l'a placé à la tête d'une entreprise et de capitaux et celui que la destinée (sans connotation religieuse) a mis sur terre sans autre bien que ses muscles et son cerveau ?

Revenons à une réflexion initiale : existe-t-il des classes antagoniques ? Certaines sont-elles dominantes par rapport à d'autres ? Certaines sont-elles plus impliquées dans le travail productif, créateur de richesses, que d'autres ? Certaines sont-elles en décroissance numérique quand d'autres sont au contraire en croissance numérique ? N'y a-t-il pas chaque jour qui passe, dans le monde, de plus en plus d'individus qui n'ont, pour gagner leur pain quotidien et celui de leur famille, que leur muscles et leur cerveau ? N'y a-t-il pas, à l'inverse, chaque jour qui passe, de moins en moins de personnes dont le revenu d'existence, parfois confortable, est tiré de l'utilisation de la force de travail d'autrui dans le processus de production de biens ou de services marchands ?

La possibilité de licencier plus facilement créera-t-elle des emplois ? La possibilité de détruire des emplois plus facilement créera-t-elle des emplois ? Si oui, sera-ce un paradoxe ? Mais est-ce que la question des modalités de licenciement est importante dans la lutte contre le chômage ? Le niveau du chômage a-t-il un rapport avec les modalités de licenciement dans un pays ?

Autre série de questions : faut-il un chômage bas et une précarité grande, comme en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis ? Faut-il un chômage élevé et une précarité élevé mais quelques droits sociaux supplémentaires, comme en France ? Que faut-il faire des revenus générés par l'activité économique ? Faut-il les socialiser et les transformer en services publics (santé, école, justice, pompiers, route, police, etc.) au service de toute la population ? Faut-il plutôt que la classe régnante, réputée la plus compétente pour ce faire, en ait le contrôle et répartisse comme bon lui semble un maximum de ces revenus ?

Fin provisoire des questions et hypothèse. Il nous semble que ce que veut dire la classe des détenteurs des moyens de production en faisant adopter, via un gouvernement ami, la loi Travail-El Khomri, c'est notamment les idées suivantes :

"Nous sommes la classe dominante économiquement et politiquement. Nous avons plutôt bénéficié de l'évolution économique de ces dernières années, et la crise n'a appauvri voire fait disparaitre que la couche la plus pauvre de nos membres, qui ont pour certains rejoint le salariat ou les entrepreneurs individuels. Notre revenu a été en progression. Mais nous n'avons pas résolu les problèmes de chômage qui touchent et font souffrir des millions d'habitants. Nous ne les avons pas résolus parce que nous ne pouvons pas et ne voulons pas les résoudre. En réalité, ce ne sont pas des problèmes pour notre classe. En réalité, ces problèmes font souffrir les membres d'une autre classe, la classe des personnes dépourvues des moyens de production, laquelle a la particularité non négligeable politiquement de compter dans ses rangs 90% de la population du pays et de la plupart des pays du monde. Il se trouve que les vicissitudes politiques et sociales des deux cents cinquante dernières années en France et dans le monde ont progressivement permis aux membres de cette classe dépourvue de capital productif d'acquérir le droit de voter pour désigner le titulaire du pouvoir d'Etat.

"Ce droit auparavant réservé aux classes économiquement dominantes est désormais ouvert à celles économiquement dominées. Ce fait a profondément modifié le jeu politique. Désormais, pour être élus, les partis doivent parler de ce qui concerne la grande majorité des électeurs, donc les travailleurs : le chômage, l'accès aux soins, à l'éducation, le niveau des salaires, le prix des biens et services, du logement, etc. Ils doivent en parler tant et tant, en permanence, tout le temps, et pour autant, comme nous demeurons la classe politiquement et économiquement dominante, ils doivent se garder de toute mesure réelle pouvant améliorer la situation de cette classe concernant ces problèmes, notamment le plus aigu : le chômage.

"Le pouvoir d'Etat ne peut pas s'attaquer sérieusement au chômage pour la simple et bonne raison que c'est le chômage qui, en faisant pression sur les salariés en emplois, en permettant de précariser les emplois, nous permet d'augmenter la part des revenus tirés de l'activité économique qui nous revient. L'actuel Etat, en France, est issu d'une révolution bourgeoise, comme chacun sait, soit une révolution qui a donné les rênes du pouvoir politique, après bien des péripéties au XIXe siècle, à la classe détentrice des moyens de production capitalistes. Ce pouvoir, désormais joué au suffrage universel intégrant une bonne partie des salariés (moins les étrangers, tout de même cinq millions de personnes environ), demeure à notre service : outre la plupart des ministres et des haut fonctionnaires, la plupart des dirigeants des grandes entreprises du pays, de l'armée, sont issues de familles bourgeoises ou si ce n'est pas le cas, sont passés par le filtre des grandes écoles républicaines, où ils ont reçu une idéologie conforme à la défense de nos intérêts de classe. Toute personne élue, et peu importe l'idéologie politique qui la guide, est sur le champ intégrée dans un jeu complexe mais qui a pour particularité de ne compter que des participants ayant la même idéologie de fond, par-delà les différences cosmétiques (libéralisme ou étatisme, souverainisme ou mondialisme, chauvinisme ou cosmopolitisme, etc.). Même l'opposant idéologique le plus solide ne pourra résister à la pression de cette machine faite de cabinets ministériels, d'officines d'études économiques, d'entreprises de conseils, d'attachés parlementaires, de journalistes d'élites, de lobbys directs et indirects des grandes entreprises et des syndicats qui le harcèlera jours et nuits... "

Se pourrait-il que le pays soit tel un volcan prêt à entrer en éruption ? Se pourrait-il que les contradictions générées par l'évolution "naturelle" de l'économie (augmentation du chômage et du nombre de salariés, concentration de la propriété et de la production dans des mains de moins en moins nombreuses, etc.) conduisent à une situation où la crise révolutionnaire éclatera nécessairement et devra se résoudre, que ce soit dans un sens favorable aux salariés ou dans un sens favorable aux principaux capitalistes du pays et d'ailleurs, pour accoucher d'un nouvel état de chose permettant une nouvelle accumulation basée sur un rapport de force plus stable ?

La réflexion continue...

Tag(s) : #Réflexion, #économie
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