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1) Ce 27 novembre a lieu la cérémonie d'hommage aux victimes des attentats de Paris du 13 novembre. Évidemment, l'humanité entière aura une pensée émue pour ces personnes qui ont perdu la vie par la faute des terroristes.

A cette occasion, le pouvoir et les médias vont encore une fois répéter que nous sommes en guerre. En guerre contre le terrorisme. Comme depuis plus de quatorze ans maintenant, depuis ce 11 septembre 2001 où les deux tours du World Trade center ont été réduites en cendre par des kamikazes d'al-Qaïda. Je m'interroge. Sommes-nous en guerre ? Nos ennemis sont-ils, à ce titre, une armée constituée ? Et ce nous, qui est-il ? « Nous », est-ce la France ? Mais alors, les ennemis ne viennent pas de France ? Donc c'est une guerre contre une nation ? Plutôt contre un groupe terroriste international : c'est le nouveau schéma des guerres modernes, expliquent les experts en terrorisme.

Pour le gouvernement, pour l'opposition, de la gauche à l'extrême droite, nous sommes en guerre. Tous les partis, du parti communiste au front national, ont voté l'état d'urgence pour trois mois. Soit. Une autre preuve que « nous » sommes en guerre : l'hommage a lieu aux Invalides. Les victimes de cette attaque affreuse vont être honorées à l'image des soldats ou des héros tombés pour la patrie.

 

2) Mon questionnement, je le répète, se porte sur cette notion de guerre. Dans l'esprit des dirigeants français, cette guerre a impliqué la mise en place d'un état d'urgence. Il n'est plus question ici de politique, de désaccords. Mais au fait, ces terroristes qui étaient-ils ? Tout le monde le sait : pour la plupart, des Français. La France a donc attaqué la France ? Or, nous sommes en guerre. Cela signifie donc : la France est en guerre contre la France. Est-ce donc une guerre civile ? Oh bien sûr, cette France là, celle des djihadistes, qui a attaqué l'autre France bleu blanc rouge, c'est une infime minorité. On ne sait pas quelle est la côte de popularité des djihadistes. Les instituts de sondage et les grands médias ont l'habitude de commander puis de commenter des sondages qui répètent souvent la même chose. Mais ce sondage-ci (avez-vous des sympathies pour les djihadistes ?) n'a pas été commandé. D'ailleurs il n'aurait sûrement eu guère d'intérêt. Il aurait montré qu'un pourcentage minuscule de la population soutient ces amoureux de la mort.

Cependant, il y a d'autres sondages inutiles, et pourtant ils sont réalisés. Pourquoi pas celui-ci ?

 

3) Donc une toute petite partie de la France est en guerre contre une autre grande partie de la France. Et pour solutionner le problème, l'Etat a décidé de bombarder plus encore les zones contrôlées par Daesh. Ici en France, la seconde religion du pays, l'islam, est sommée par tous ou presque de faire le ménage dans ses rangs. C'est leur problème, pas le nôtre. C'est ce que disait Jean-Jacques Ferrière dans les colonnes de L'Essor Sarladais, la semaine dernière. Mais l'islam n'est-elle pas qu'une religion ? En France, pays laïque, elle dépend donc de la sphère privée. Quand des terroristes frappent la France, ce n'est pas un problème de religion, cela devient un problème politique (au sens large), une question d'ordre public. Cela intéresse les habitants du pays, tous. Pas uniquement les croyants. Dire que c'est à l'Islam de régler cette question, c'est croire les terroristes quand ils disent qu'ils se battent au nom de cette religion. Alors qu'en réalité, c'est une réalité bien plus compliquée, qui n'a rien à voir avec la pratique d'une religion. Dire que c'est aux Musulmans seuls de régler le problème, c'est oublier la laïcité. C'est déjà être dans une conception communautaire (raciste ?) de la France. Mais il règne une grande confusion. La laïcité serait-elle défendue par des gens qui ne savent pas qui elle est ?

 

4) Depuis les attentats, le déchaînement xénophobe voire raciste (le racisme est-il un délit puni par la loi ? Oui) a encore monté d'un cran. Sur Facebook, des personnes demandent l'interdiction du voile islamique, de la djellaba. Tout ceci au nom des « valeurs » de la France. La laïcité permet la liberté de culte tant qu'elle ne trouble pas l'ordre public. La « laïcité » est aujourd'hui récupérée par tous, y compris par des défenseurs de l'école privée catholique, auparavant ses fervents ennemis. Est-ce le voile qui dérange ses gens ou celles qui le portent ? Croient-ils, ces ennemis du voile, que les terroristes se promènent avec une djellaba ou un hidjab ? Peut-être, mais ils se feraient alors vite remarquer. Pas pratique pour commettre un crime.

 

5) Autre réflexion sur cette période : en Iran ou dans les dictatures du golfe arabique (qui sont nos alliés alors que certains chez eux financent les terroristes), on interdit aux femmes de sortir le visage et les cheveux découverts. On promeut le port de la barbe chez les hommes. Ici, demain, fera-t-on la même chose avec le voile, la djellaba : les interdira-t-on, au nom... de la liberté ? Des ayatollahs peuvent apparaître dans n'importe quelle société.

 

6) Récupération politique... Tout le monde a commencé par dire qu'il ne fallait pas de récupération. Arrêt de la campagne des régionales. Pas de récupération. Sur le plateau télé, dignité, costard impeccable, mine grave de circonstance. Mais n'en est-ce pas déjà, de la récupération ?

Récupération... Les victimes ont été frappées par des Français, pour la plupart. Nous sommes en guerre contre des terroristes se prétendant musulmans. Valls ne leur trouve aucune excuse. La misère dans les quartiers, l'absence de perspective de vie, le chômage et la précarité, l'égoïsme individuel, la promotion de l'argent, les valeurs du business contre celles de la solidarité : ces phénomènes sociaux sont bien connus. Je ne leur cherche pas d'excuses, je cherche des explications !

 

7) Je reviens à ma réflexion sur les causes du mal. Le philosophe Spinoza (excommunié du Judaïsme dans les Pays Bas si éclairés du XVIIe siècle) a dit dans son Ethique : « La connaissance de l’effet dépend de la connaissance de la cause et l’enveloppe (involvit). » Si l'effet est le terrorisme, comment le supprimer, si ce n'est en s'attaquant à ses causes ? Il s'agit donc déjà de les connaître précisément. Est-ce l'islam ? Est-ce le wahhabisme, cette version promue depuis le XVIIIe siècle par l'Arabie Saoudite ? C'est oublié que des terroristes et des dictatures ont existé dans le passé et existent dans le présent, se présentant sous les drapeaux les plus divers : l'Espagne franquiste était catholique, Action Directe était communiste, les nationaux-socialistes étaient aryens, l'Inquisition s'est faite au nom de Jésus. Le terrorisme peut-il être d'Etat ? Si oui, alors le monde est plein de terroristes avec qui le gouvernement accepte de discuter.

 

8) Parmi les terroristes, il y a beaucoup de jeunes issus de milieu pauvres. Ils sont parfois tombés dans la petite délinquance et ont été rattrapés par des prédicateurs islamistes qui les ont endoctrinés. Il y a aussi des jeunes gens issus de familles aisés. En fait, il y a tout un tas d'origines sociales. La France, grand pays colonial, a basé une bonne part de sa prospérité sur l'exploitation des hommes et des ressources de l'Afrique, du Proche Orient, de l'Asie et de l'Amérique. D'hier à aujourd'hui. Ce n'est pas de la victimisation, c'est une vérité historique. Qui dit exploitation et colonisation dit forcément dominants et dominés, soumis, injustice, révoltes, révolutions, bombes et massacres. Cette question géopolitique est aussi à prendre en compte si l'on veut chercher les causes du terrorisme. De cela, il n'est jamais question dans le discours du pouvoir exécutif, actuellement. Pour éradiquer le terrorisme, il faut bombarder toujours plus une région déjà ravagée (une terre qui a été le berceau de notre civilisation, entre le Jourdain et l'Euphrate). Comme le dit l'ancien Premier ministre De Villepin : en 2001, il y avait un foyer de terrorisme, aujourd'hui une quinzaine. Nous les avons multipliés. Où cela s'arrêtera-t-il ? 

 

9) Pour éradiquer le terrorisme, ensuite, selon les hommes politiques français, il faut porter des coups au salafisme en France. C'est le terreau sur lequel prospère les futurs terroristes. Peut-être, sûrement même. Il faut tout de même se demander pourquoi des jeunes gens élevés dans le cadre des institutions républicaines n'en viennent à n'avoir qu'une idée : détruire ce monde de mécréants où ils ont vécu. On n'est plus là dans le drame familial que dans l'intrusion criminelle d'un inconnu. Ce salafisme propage-t-il une pensée si moderne qu'il attire tout un pan de notre jeunesse ? Je me demande vraiment comment des jeunes passés par l'école publique peuvent être plus fascinés par le retour à une telle pensée que par les valeurs de liberté, d'égalité et de fraternité. Peut-être parce que, pour eux, elles ne sont que des mots. Peut-être aussi que le racisme, dont ils sont parfois victimes ou qu'ils constatent, les poussent à rejeter en bloc des idées généreuses qui n'en restent qu'au statut théorique.

Encore une fois, pas d'excuse, je cherche des explications. Quand des milliers de jeunes du pays où je vis sont plus tentés par aller mourir en Syrie ou en France, ou même par une vie étriquée bornée par des règles archaïques, que par le progrès social, la volonté de se battre contre les injustices ou pour un monde meilleur, il faut forcément s'arrêter et réfléchir. Chercher les causes du terrorisme, les éradiquer. En prenons-nous le chemin ?

 

10) Je reviens à ce « nous », la France, en guerre avec des alliés étrangers, contre une autre partie de la France, elle-même alliée à d'autres étrangers. La France peut-elle avoir un jugement lucide sur la politique internationale qu'elle mène ? Le peut-elle alors que l'industrie de l'armement constitue une de ses principales ressources économiques ? Les armes qui servent à tuer des occidentaux sont-elles françaises, russes, américaines, britanniques ? Oui, à coup sûr. Qui possèdent ces entreprises ? Ne sont-ils pas eux-mêmes des hommes politiques ? N'ont-ils pas, précaution suprême, veillé à s'acheter la plupart des grands médias ? Quant aux autres médias de masse, certains sont également possédés par d'autres grands patrons, qui ont fait fortune notamment grâce à l'exploitation des hommes et des matières premières venues d'Afrique, d'Asie, d'Amérique... Est-il nécessaire ensuite, de dire à quel point, pour la France, il est délicat de porter un regard lucide sur ses choix politiques ?

 

11) Autre interrogation sur ce « nous » : agrège-t-il par-delà les classes sociales ? Existent-elles encore, d'ailleurs, ces classes sociales ? Le salarié privé de revenu par un employeur qui le licencie pour gagner un peu plus, de qui doit-il avoir peur ? Pourquoi parle-t-on si peu de la cupidité et de l'avidité ? Ne sont-elles pas réprouvées par la morale chrétienne ? La France, malgré sa devise, n'y échappe pas. Les terroristes du 13 novembre ont grandi dans ce monde là. Dans cette France là, celle qui laisse de plus en plus de jeunes sur le carreau et ne donne à ses anciens que des retraites de plus en plus maigres. Pas d'excuses. Je cherche juste à comprendre comment on peut préférer mourir à 20 ans plutôt que de vivre dans un pays comme la France. A moins évidemment de considérer qu'ils sont fous. Mais a-t-on déjà vu autant de fous faire la même chose au même moment ? Et n'est-ce pas faire injure à ceux qui souffrent de maladies psychiques de dire que les tueurs de Daesh sont fous ?

 

12) Il y a un chaos international et il y a un chaos national. Le chaos international, qui l'a provoqué ? Qui a détruit des Etats-nations arabes, pour y rechercher des armes de destruction massive inexistantes ou pour y renverser des dictateurs ? Qui avait contribué à mettre en place ces dictateurs, des décennies avant, pour contrer la menace soviétique ? Qui a financé les premiers djihadistes pour contrer encore une fois l'influence des staliniens du Kremlin ? À l'heure où le salafisme devient le premier ennemi du monde libre, « nous », la France, peut-elle encore se poser la question de ses choix stratégiques ?

Quant au chaos national, il a été encore un peu aggravé par les attentats du 13 novembre. Mais qui va en profiter ? Les terroristes feront peut-être de nouveaux adeptes. Les ennemis des libertés aussi. Le chômage et la précarité, la pauvreté, le mal logement continueront-ils à prospérer ? Sur ces sujets aussi, il est question de causes des phénomènes, de racines. Aujourd'hui, on demande au chômeur de se former encore et encore, on le surveille : est-ce lui le responsable de son chômage ? Mais qui donc en France a le pouvoir d'embaucher ? Qui dont a le pouvoir de licencier ?

 

13) La durée de cet état d'urgence -trois mois- est-elle pertinente ? Les réseaux terroristes se terrent, se cachent, fuient le pays. Mais les militants défendant l'écologie, les migrants, les droits syndicaux, pourquoi leur interdit-on de manifester ? Le préfet peut-il faire perquisitionner chez vous parce que vous avez manifesté une fois il y a deux ans contre l'aéroport Notre Dame des Landes ? C'est arrivé à des agriculteurs du nord du département. Quel est le rapport avec le djihadisme ? Il y en a forcément un, puisqu'ils ont été perquisitionnés.

 

14) En tant que journaliste, je m'interroge aussi sur la responsabilité de mes confrères. Les médias TV et radio ont joué à fond la carte de l'émotion après les attentats. Est-ce notre rôle de faire des microtrottoirs pour demander si les gens ont peur ? Où se cache, alors, l'information ? Ne sommes-nous pas là pour hiérarchiser l'information, contextualiser, donner du sens, expliquer les causes ?

 

15) Nous devons faire notre métier en respectant la déontologie afin qu'ensuite, le citoyen, en toute connaissance de cause, s'attaque ou non à la racine, par le biais de ses choix politiques. Encore faut-il pour cela que le citoyen existe encore : est-ce que quelqu'un qui ne vote pas est un citoyen ? Est-ce qu'à l'époque de la mondialisation, des réseaux sociaux, de l'explosion des connaissances, il faut continuer de cantonner le rôle du citoyen à une élection tous les cinq ans ? Pourquoi y a-t-il plus d'adhérents dans le premier syndicat français que dans tous les partis politiques réunis ?

 

16) Peut-être les journalistes parisiens se sont-ils sentis particulièrement visés par les attentats, qui ont ciblé des populations sociologiquement proches d'eux. Peut-être aussi sont-ils noyés par la charge de travail, par les directives de direction très proches des milieux politiques et économiques partisans d'une Union nationale pertinente en cette période de montée du chômage et du Front national... ? Peut-être aussi qu'ici encore, la précarité pousse certains journalistes à abandonner toute indépendance d'esprit pour garder leur place ? Peut-être aussi qu'il y a des journalistes qui croient sincèrement à cette guerre que « nous », cette partie gentille de la France, avons déclaré à « eux », ce rejeton indigne qui par ses actes et son existence même, met « nous » en danger et en accusation.

 

17) La liberté de parole sera-t-elle attaquée ? Et par qui ? Par les terroristes, certes. Ou par d'autres ? Peut-on être pessimiste pour l'avenir ? Peut-on être optimiste pour l'avenir ? Espérons un sursaut des consciences, espérons que ceux qui cherchent les racines du mal, et qui les trouvent, seront entendus et agiront politiquement pour l'extirper.

Tag(s) : #Réflexion
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