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La Lanterne des Maures 24200 Sarlat : partie 14

ne pas se méprendre

Une petite cuisine étroite tapissée de fleurs aux couleurs tachées par la graisse. Un poulet rôti exhalant un parfum appétissant. Il est posé dans un plat en verre ovale au milieu d’une table en formica. Celle-ci est recouverte d’une nappe en plastique sur laquelle sont imprimés des petits carreaux rouges et jaunes. Des pommes de terre et des cèpes enserrent l’animal prêt à consommer. Deux verres de vin rouge. Marc et Brigitte Etre dégustent un bon déjeuner.

Marc Etre : « Je vais devoir aller à Sarlat. Mon père a disparu depuis quinze jours. La gendarmerie m’a appelé. Ils veulent m’interroger. Comment expliques-tu, Brigitte, que je n’aie plus du tout pensé à mon père depuis un mois ? Ni toi non plus, d’ailleurs. J’ai fait cette réflexion à la sympathique gendarmette qui m’a appelé. Elle était perplexe. Elle m’a demandé quel était mon grade à l’armée et je ne lui ai pas répondu. Ou peut-être que si, je ne sais plus... » Il boit deux gorgées de vin. Il regarde un petit tableau représentant le port de Collioure. Il est accroché au mur, derrière sa femme.

Brigitte Etre : « Je suis inquiète. Tu te souviens de tout ce qui s’est passé, cet enlèvement, ce massacre de pauvres gens ? C’était à côté de chez ton père en plus… Fais attention quand tu y seras. » Elle avale un morceau de blanc et un morceau de cèpe.

Marc Etre : « La connaissance adéquate d’une chose dépend de la connaissance de sa cause et l’implique ». Encore une gorgée de vin. Son verre est vide, il se ressert.

Brigitte Etre : « Je n’aime pas te savoir dans un endroit où il y a eu tant de morts... » Elle s’arrête de manger et regarde son mari dans les yeux.

Marc Etre : « Mon capitaine disait que chaque balle qui partait d’un fusil avait son billet ». Il regarde toujours le tableau. Il mange une fourchetée de pommes de terre.

Brigitte Etre : « Je sais, mais tu es libre de tes actes, tu dois faire attention... ». Elle boit un peu de vin.

Marc Etre la regarde dans les yeux : « La liberté est impossible sans la nécessité. Je ne peux être sûr des conséquences de mes actions que dans les cas où je peux prévoir les actions de mes prochains. Pour que je puisse les prévoir, il faut qu'elles soient soumises à des lois, c'est-à-dire qu'il faut qu'elles soient déterminées, qu'elles soient nécessaires. La nécessité des actions des autres est donc la première condition de la liberté de mes actions. Ce qui doit arriver arrivera, qu’on le veuille ou non. »

Brigitte Etre : « Mais tu sais être intelligent, mon chéri. Tu peux tenter de prévoir, via l’étude des lois dont tu parles, les actions néfastes qui pourraient être entreprises contre toi. Si quelqu’un en veut à ton père ou à ta famille, cherche à savoir qui sait. Mais prudemment ! »

Marc Etre : « Qu'est-ce qu'une action nécessaire ? C'est une action qu'il est impossible à un individu donné de ne pas faire dans des circonstances données. Et d'où vient l'impossibilité de ne pas faire cette action ? Elle vient de la nature de cette personne, façonnée par son hérédité et par son évolution antérieure. Cette nature est telle que cette femme ou cet homme ne peut pas ne pas agir d'une façon donnée dans des circonstances données. » Il regarde son assiette et constate qu’il n’y a plus de poulet. Il attrape une cuisse à la peau bien grillée avec sa fourchette.

Brigitte Etre : « Oui, mais la nature de cet individu est telle qu'il ne peut pas ne pas avoir certaines volitions ! » Elle a haussé le ton. Marc détourne le regard des aliments. Il observe son épouse. Elle semble contrariée.

Marc Etre : « Je vais faire attention quand je serai à Sarlat. Je suis prudent, tu me connais. Mais je ne peux pas éviter le destin. Que veux-tu dire par volition ? »

Brigitte Etre : « Ma volonté. Je suis libre quand je peux agir comme je veux. Et ma libre action est en même temps nécessaire, puisque ma volition est déterminée par mon organisation et par les circonstances données. La nécessité n'exclut donc pas la liberté. »

Marc Etre et son épouse mangent en silence pendant un moment. Mais le fonctionnaire des impôts trouve que la démonstration de sa femme n’est pas satisfaisante. Il y entre encore trop de ce satané libre-arbitre. Puis il s’écrie soudain : « Qu’il aille au diable, mon père ! On dirait qu’il a encore trouvé le moyen de m’embêter ! » Il se lève, va vers la fenêtre, l’ouvre et s’allume une Gitane Maïs.

z0z1z4z1z

 

 

A suivre...

Tag(s) : #Feuilleton, #Littérature, #Périgord Noir
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